Dialogue social et digitalisation. Une veille assurée par la Chaire de l’ESCP

L’ESCP Europe, école de management a lancé fin 2016 une chaire intitulée « Dialogue social et compétitivité des entreprises » financée par quatre grandes entreprises (Airbus, Solvay, Sodexo et Renault). Un an et demi plus tard, en avril 2018, la Chaire organisait un débat matinal sur le thème du « dialogue social à l’heure de la digitalisation » en présence notamment de Jean-François Pillard, co-président de la chaire et par ailleurs vice-président du Medef dont il est président du pôle social. Guy Groux, docteur d’Etat en Lettres et Sciences humaines, membre du comité scientifique de la chaire, animait la matinée.

Cesser de mesurer le dialogue social au nombre d’accords signés

Jean-François Pillard medef Guy Groux

Jean-François Pillard, co-président de la chaire et par ailleurs vice-président du Medef.

Jean-François Pillard a introduit la matinée en rappelant les enjeux de la chaire créée par l’ESCP, recherche-formation-think tank, et la nécessité désormais de « sortir d’un dialogue social liturgique » qui se mesurerait à la quantité d’accords signés, sachant qu’en plus, une partie de ces accords seraient peu ou pas appliquée. « L’idée n’est pas de copier un modèle mais de créer des ouvertures et des zones de tolérances ; car la tolérance est pour moi l’une des clefs du succès du dialogue social ».
Il a remarqué par ailleurs, que malgré plusieurs tentatives dans les années 70 dans les écoles d’ingénieurs et jusqu’en 2003 à l’Ena (par Jean Kaspar), la greffe de modules sur le dialogue social dans les enseignements des futurs cadres et dirigeants ne semblait malheureusement pas avoir pris….

Etre conscient de l’incertitude de l’avenir dans la négociation d’entreprise

S’appuyant sur une étude publiée en novembre 2017 sur « les mutations digitales et le dialogue social », Antoine Naboulet, directeur adjoint de France Stratégie a, à son tour, rappelé la réelle prise de conscience des entreprises et des représentants du personnel de l’enjeu de la digitalisation des relations en entreprise, mais aussi la difficulté à en tirer des conséquences pour les faire évoluer et le renouveler. Il constate également que la remise en cause de l’organisation même de l’entreprise, de l’emploi et de certains métiers est source d’anxiété dans l’entreprise, concluant qu’il est nécessaire alors de « penser un dialogue social en incertitude ». « Il y a un enjeu à construire un dialogue social qui assume un partage d’ignorance, entre interlocuteurs, sur ce qui va arriver ; à construire des formes de dialogue qui mettent tout le monde à égalité » face à la digitalisation de nos rapports.

Une gestion du temps et des relations plus complexes

A la différence d’il y a quelques décennies, les relations en entreprise aujourd’hui sont en effet devenues de plus en plus fluides, a repris Jean-François Pillard. Le triangle Direction-Managers-Représentants du personnel que l’on apprenait en école de commerce ou d’ingénieur a disparu au profit de rôles flous et d’une information qui circule beaucoup plus vite, a-t-il rappelé. Pour le vice-président du Medef, il est désormais urgent de trouver des solutions à cette évolution, accompagnée du développement de l’économie du partage, de nouveaux statuts de travailleurs tels que les autoentrepreneurs et la déstabilisation des compétences par l’intrusion du numérique.

Sensibiliser les nouvelles générations aux enjeux du dialogue social

Catherine Buche-Andrieux_Safran aircraft engines

Catherine Buche-Andrieux, directrice de l’usine Safran Aircraft Engines de Villaroche.

Dans l’usine Safran Aircraft Engines de Villaroche dirigée par Catherine Buche-Andrieux, 75 % des 5 000 salariés n’étaient pas dans l’entreprise il y a cinq ans. Si la digitalisation a fait son entrée dans ce site et a des conséquences sur la GPEC (gestion prévisionnelle des emplois et des compétences), sur la gestion des temps de travail et la veille en matière de santé et sécurité au travail (4 CHSCT à ce jour), la directrice a admis pendant cette matinée à l’ESCP Europe, que « le temps long » qui caractérise la production aéronautique et la valeur ajoutée incontestable de chaque ouvrier pour construire un moteur, freine les effets constatés dans d’autres secteurs de l’entrée du numérique. Elle a constaté surtout que les nouveaux salariés, plus jeunes, arrivent avec une nouvelle notion du temps de travail, en utilisant leurs propres outils numériques, sont très individualistes et ne prennent plus les tracts que leur tendent les syndicats. En réaction, elle organise régulièrement des réunions avec les ingénieurs pour les sensibiliser aux enjeux et aux conséquences du dialogue social, afin de continuer à avoir des interlocuteurs en négociation sociale…

Des plateformes d’échanges des salariés militants existent

Fédérer les jeunes et les convaincre de l’importance du dialogue social, donc de la présence des syndicats dans l’entreprise, c’est une évidence pour Claude Bocoviz, secrétaire du comité central d’entreprise d’Airbus Helicopters, en charge de la commission GPEC. Elu CFE-CGC Aéronautique, Espace et Défense, il a rappelé au cours des débats, qu’au sein de cette fédération, existe une plateforme informatique d’échanges des militants sur ces questions de l’avenir des métiers dans leur secteur, remis en cause par l’arrivée d’outils numériques. Pour sa part, il place les nouvelles technologies comme un support ou un moyen pour faire évoluer les techniques de base (électricien, monteur, etc.) et considère qu’il en est de même pour les relations humaines et syndicales.

 

Philippine Arnal-Roux

 

A lire aussi :

Le dialogue social, objet d’une nouvelle chaire scientifique à l’ESCP Europe.