Le paysage de la formation continue illustre bien la difficulté qu’il y a à faire converger les besoins des entreprises et ceux des salariés. Dans les plans de formation, les modules proposés sont avant tout orientés sur les besoins du poste et le volet « développement des compétences » ne bénéficie que de la portion congrue. L’intérêt du plan de formation est de croiser la remontée des besoins individuels des salariés avec les besoins opérationnels de l’entreprise. Quel rôle alors pour le dialogue entre direction et élus du personnel ?

Le plan de formation peut-il et doit-il être construit avec les élus du personnel ?
La documentation d’orientation de la réforme de la formation professionnelle remise le 15 novembre 2017 aux partenaires sociaux préconise de simplifier, en ne contraignant plus les directions à catégoriser les formations du plan. « Ce serait bien dommage. L’indicateur du développement des compétences a du sens car il permet d’objectiver le débat entre les besoins à court terme et à plus long terme. Il faut savoir de quoi on parle en mettant sur la table la question du lien entre développement des compétences et la promotion », considère Nicolas Faintrenie, consultant senior au pôle des politiques de formation de Sémaphores. En attendant, le plan de formation est bien censé croiser la remontée des besoins individuels des salariés avec les besoins opérationnels et les évolutions à préparer au regard de la stratégie.

Nicolas Faintrenie de Sémaphores, Groupe Alpha
« Il n’y a pas que les représentants du personnel qui peinent à avoir une vue sur les orientations stratégiques. C’est aussi le cas de certains responsables de la formation », note Nicolas Faintrenie, sur fond des grandes difficultés éprouvées pour faire vivre les accords de GPEC. Le lien avec les plans de formation est loin d’être évident. Les cadres se forment de moins en moins.
La formation orientée en priorité vers la production

Jean-François Foucard est secrétaire national de la CFE-CGCen charge de la formation professionnelle.
« Les désistements sur les programme de formation pour cause de contraintes opérationnelles progressent. C’est un vrai danger en termes de compétitivité alors qu’il s’agit de développer des emplois qualifiés. Un manager qui ne prend pas le temps de se former ne sera pas enclin à être proactif en la matière avec son équipe car il n’en a pas saisi tous les avantages », souligne Jean-François Foucard, secrétaire national CFE-CGC en charge notamment de l’emploi et de la formation. L’entretien professionnel introduit en 2016 qui s’impose tous les deux ans, permettra-t-il de bâtir des plans de formation avec plus de sens ? Selon le syndicaliste, « c’est la bonne occasion de parler vrai sur les compétences. C’est le moment de voir le champ des possibles quand on sait que tel métier disparaîtra d’ici à quatre ans, par exemple ». En 2022, les entreprises qui n’auront pas joué le jeu de l’entretien professionnel seront sanctionnées financièrement en devant ajouter 100 heures sur le compte personnel de formation pour un salarié à temps plein et de 130 heures pour un salarié à temps partiel. Outre l’obligation de passer un entretien professionnel (à ne pas confondre avec l’exercice maison de l’évaluation des performances), les entreprises devront être en mesure de justifier qu’en six ans tous les salariés ont au moins été formés, certifiés, auront vu reconnaître certaines de leurs compétences ou auront été promus… Le compte personnel de formation ou CPF, cristallise cette volonté de donner la main aux salariés pour réaliser ses objectifs de formation.

René Bagorski est président de l’Afref, association française de réflexion et d’échange sur la formation.
Cependant, le crédit d’heures capitalisables officiellement n’est pas satisfaisant ; d’où la proposition portée par René Bagorski, président de l’Association française de réflexion et d’échanges sur la formation (Afref) qui consiste à proposer un compteur personnel dégressif qui pourrait être crédité de 900 heures à décompter au fil de la vie professionnelle. « La formation répond à des exigences de compétitivité mais elle ne doit pas que répondre aux besoins des entreprises. Un salarié est aussi un individu social qui se forme en dehors du cadre de l’entreprise. Ces formations individuelles représentent un volume d’activité de 1,4 milliard d’euros par an. Défiscaliser cet investissement de formation constituerait un solide levier de développement », estime René Bagorski. De concert, les experts s’accordent à dire que le crédit de 150 heures du CPF n’est pas suffisant. Il ne faudrait d’ailleurs pas raisonner en heures. Pour Nicolas Faintrenie, « il ne faut surtout pas attendre d’avoir 150 heures. L’important, c’est le projet. Dès que celui-ci est structuré, il faut aller chercher d’autres sources de financement en tapant à la porte de l’employeurs pour utiliser les fonds mutualités ». Les spécialistes s’entendent aussi pour dire que la formation n’est pas une fin en soi. La VAE est une autre voie possible et un bilan de compétences est parfois nécessaire pour déclencher une réorientation professionnelle.

Patrice de Broissia est le directeur d’Oasys consultants, société de conseil en transition professionnelle.
Chez Oasys Consultants, on accompagne les salariés dans les transitions professionnelles au moment des plans sociaux (PSE), de plans de départs volontaires (PDV) et désormais de ruptures conventionnelles collectives (RCC). « Dans le cadre des licenciements contraints, les gens craignent d’affronter un monde de la recherche d’emploi archi-concurrentiel ; d’où une propension qu’ont certains à privilégier des formations que l’on appelle ‘alibis’ ou ‘parking’, pour mieux attendre. C’est un danger auquel nous les sensibilisons en mettant en avant d’autres leviers pour les rassurer », rapporte Patrice de Broissia, directeur du pôle des carrières et de la mobilité du cabinet. Si le facteur temps est important dans le processus de retour à l’emploi, la pression de celui-ci l’est tout autant dans l’entreprise. « Il faut desserrer l’étau du taylorisme pour créer des espaces de réflexivité sur le travail. Pouvoir discuter de la façon dont on fait le travail est essentiel. C’est la base. »

Philippe Debruyne, secrétaire confédéral CFDT et vice-président du Copanef.
« Ce dialogue professionnel embarque naturellement les managers. Il s’agit d’articuler dialogue professionnel et dialogue social », explique Philippe Debruyne, secrétaire confédéral CFDT, vice-président du Comité paritaire interprofessionnel dédié à l’emploi et la formation (Copanef) qui ne fait pas qu’adopter les certifications éligibles au compte personnel de formation. Ce comité croit au développement de la formation en situation de travail. « Il faut casser la frontière entre production et formation. Le travail peut être formateur. Cela sous-entend une reconnaissance des acquis de la formation en situation de travail. Le Copanef prépare d’ailleurs un guide à l’usage des partenaires sociaux », précise Philippe Debruyne.
Sensibiliser tous les acteurs de l’entreprise concernés
Les démarches pour accéder à une formation sont complexes, elles font intervenir une grande diversité d’acteurs. C’est l’un des rôles du Centre Inffo (structure associative de 90 salariés placée sous la tutelle du ministère du Travail dont la gouvernance est composée des syndicats d’employeurs, de salariés, des pouvoirs publics et des personnalités qualifiées) que d’informer et former l’ensemble des acteurs : conseils en évolution professionnelle, formateurs, responsables de formation, représentants du personnel et managers.

Pierre-François Tallet est chargé d’études au Centre Inffo, référence en droit de la formation et organisateur de l’Université d’hiver de la formation professionnelle.
« Le rôle du manager en matière de formation n’est pas suffisamment reconnu. Or, c’est bien sur l’encadrement que repose le succès des démarches de formation, avec par exemple l’entretien professionnel comme pivot. Des managers peuvent se révéler être de très bons relais auprès de leurs collaborateurs comme de très mauvais s’ils ne sont pas formés », souligne Pierre-Francois Tallet, chargé d’étude à la direction juridique du Centre Inffo. Et celui-ci de constater que « la difficulté éprouvée par les entreprises à capitaliser une expertise par la formation, du fait notamment du renouvellement ». Le risque est en effet de proposer des formations « hors sol »… C’est un biais que l’on cherche à éviter à tout prix dans les commissions de suivi mises en place dans le cadre des plans de départs contraints ou volontaires. Des commissions où les représentants du personnel, de la direction et du cabinet chargés de l’accompagnement, valident notamment les demandes de formation. Pour Patrice de Broissia ,« sauf exception, il y a très peu de jeux de postures dans les commissions. La priorité de tout le monde est de créer les conditions du meilleur repositionnement des gens. Ce n’est pas parce qu’il y a une enveloppe financière globale consacrée à la formation qu’il faut obligatoirement la dépenser en totalité. Mais cela peut par exemple bloquer sur ce point dans les arbitrages ».
Cet article a été rédigé par Rodolphe Helderlé, à partir des échanges lors d’une table ronde organisée le 23 novembre 2017 sur la formation des acteurs du dialogue social. Si vous souhaitez recevoir le compte rendu complet de la journée des Relais du dialogue social et de la formation. Envoyez-nous un message.
Autres articles dans la même catégorie :
-
DUERP. Quelles nouvelles obligations depuis le 31 mars 2022 ?
-
Port du masque, vaccin, prévention. Quel protocole sanitaire en entreprise ?
-
Tickets-restaurant. Le plafond maintenu à 38 euros
-
Hausse de 10 % du barème kilométrique
-
Protocole sanitaire au travail : ce qu'il faut retenir
-
Passe vaccinal. A qui et où s'impose-t-il ?
-
Comment doit être utilisé le budget ASC du CSE ?
-
Un accident survenu pendant une activité sportive peut-il être un accident de travail ?
-
Les principales mesures de la loi Santé au travail. DU numérique, médecin du travail...
-
Passe sanitaire. Où et à qui s'impose-t-il ?