FEST ou la formation en situation de travail : l’avenir de la formation ?

L’Afdas, opca des entreprises des secteurs de la culture, de la communication et des loisirs s’est saisi d’un projet d’expérimentation proposé par la DGEFP et le FPSPP : FEST, pour formation en situation de travail. Il consiste à tester le développement de méthodes pédagogiques innovantes.

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Leïla Rose des Ordons a présenté l’investissement de l’Afdas dans le projet FEST lors de la matinée organisée par l’Afref.

Reprenant plusieurs études concluant que les formes « primaires » de transmission des savoirs ne rempliraient que partiellement leur rôle de développement des compétences professionnelles, la direction de la formation professionnelle au sein du ministère de l’emploi (DGEFP) et le fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP) ont mis en place, avec l’Afdas, cette expérimentation auprès de neuf entreprises volontaires.

Les adhérents de l’Afdas : habitués de la formation empirique

Les neuf entreprises volontaires, adhérentes de l’Afdas, comptent de 10 à plus de 300 salariés et représentent cinq branches d’activité : la publicité, les loisirs (un parc à thème), la presse audiovisuelle et l’exploitation des salles de cinéma et sont situées dans cinq régions différentes. Elles se caractérisent quasiment toutes par  une manière empirique d’apprentissage des métiers (mode compagnonnage et sur le tas). Un échantillon donc idéal pour l’expérimentation FEST.
Pour mener et coordonner l’expérimentation lancée en décembre 2016, un prestataire expert en formation au tutorat et en formation de formateurs a été choisi, C-Campus.

Professionnalisation, formalisation et forfait horaire

L’expérimentation a été lancée en décembre 2016 après que les formateurs-référents ont été désignés dans chaque entreprise (deux pour le parc de loisirs pour s’occuper en particulier des saisonniers). L’envie de former d’autres personnes, le profil de porteur d’une « expertise métier » et celui de « Monsieur Jourdain » dans sa manière de transmettre, sont les qualités communes à ces référents. Douze apprenants ont en parallèle étaient identifiés dans l’ensemble des neuf entreprises volontaires. Afin de ne pas demander d’effort supplémentaire à l’entreprise, la FEST est financée sur des fonds mutualisés. Quant au calendrier de l’expérimentation, il s’arrête fin 2017, avec un bilan en juin.

Les principes de la formation en situation de travail se résument en trois mots : la professionnalisation du référent ; la formalisation d’un parcours de formation et le forfait d’heures (estimation). Chaque référent est ainsi formé pendant 70 heures sur six mois, au travers de séances multimodales. Il sera enfin évalué en vue d’une éventuelle certification. L’apprenant, de son côté, suit un parcours de formation avec son référent de 14 à 70 h, sur quatre mois.

FEST : une expérimentation en réponse à un besoin

Alors que la réforme de la formation professionnelle a fortement perturbé la stratégie et l’organisation de la formation dans les départements des ressources humaines des entreprises, qui ont « perdu » le budget de formation mais se voient dans l’obligation de former, la question de la formation professionnelle leur apparaît comme un vrai casse-tête. Pour se faire accepter, la FEST devait donc de se présenter comme un vecteur de circulation des compétences et d’expertises métiers dans l’entreprise ; comme un levier de création d’un réseau de formation interne et surtout comme une réponse à un besoin de formation sur mesure de l’entreprise. « En interne, il y a des gens qui savent, ils doivent être nos garants, nos piliers pour ensuite construire un parcours sur-mesure » explique Leïla Roze des Ordons, responsable du pôle Ingénierie pédagogique et développement à l’Afdas.

Quelle reconnaissance à l’issue du parcours de formation ?

Une question reste entière au sujet de la FEST : si elle promet un parcours de formation et une montée en compétences, quelle reconnaissance peut-on en attendre du côté du référent et de celui de l’apprenant ? Pour l’une des entreprises, la FEST concourt à l’obtention d’un CAP de projectionniste dans l’exploitation du cinéma, mais c’est une issue exceptionnelle dans le dispositif.
En pratique, l’employeur signe un protocole d’engagement à la FEST et prend ainsi connaissance que le salarié a et développe des compétences. Cette trace écrite peut ainsi servir à faire reconnaître autant la démarche de formation de l’employeur que l’acquisition de compétences de l’apprenant.
A cette question de la reconnaissance, la DGEFP répond que la FEST vient combler un besoin des TPE et PME, peu consommatrices de formation, par un dispositif proche de leurs réalités, simple et avec un minimum de contraintes. Mais s’agira-t-il d’un nouveau dispositif finançable en réponse à l’impression qu’ont les entreprises d’avoir « perdu » leur budget de formation ?

De la difficulté de formaliser l’expérience

Sabrina Dougados avocate - Béatrice Delay DGEFP - Leila Rose des Ordons Afdas - Arnaud Nicolini Afdas - Henri Occre C-Campus Afref

Béatrice Delay de la DGEFP a détaillé le contexte post-réforme de la formation professionnelle et les enjeux dans lesquels s’inscrit la FEST.

« Nous sommes sur des notions d’objectifs pédagogiques et il s’agit donc d’une approche inductive : nous partons des pratiques de l’entreprise pour les intégrer dans un cadre plus formel, explique, Henri Occre, directeur associé de C-Campus, en charge de la dimension pédagogique de la FEST. Dans les TPE PME, on a des experts, des praticiens, pas des formateurs. L’idée est de les outiller et de les aider dans cette mission d’accompagnement de leurs collègues. Nous sommes sur des itinéraires d’apprentissage en situation de travail pour permettre l’acquisition de compétences. » La difficulté semble-t-il est ensuite de formaliser l’expérience. Quel est le moment pour poser des questions, pour se poser, permettre à l’apprenant de s’approprier son parcours et contribuer à sa construction ?

Si la FEST donne l’occasion de décloisonner et de partager les savoirs dans l’entreprise et parfois même de revisiter l’organisation du travail, en revanche, plusieurs écueils seront à éviter au cours de cette année d’expérimentation selon l’expert de la formation :

– les savoirs internes sont très peu formalisés et pas capitalisés.
– la formation interne reste le parent pauvre de l’entreprise, peu outillée et peu valorisée
– la formation en situation de travail révèle la subjectivité fréquente des pratiques d’évaluation et de détection des potentiels.

Une bulle de protection pour le salarié

Pour Maître Sabrina Dougados, avocate spécialisée en formation professionnelle au sein du cabinet Fromont Briens, la FEST est difficilement identifiable. Elle la rapproche cependant des formations ouvertes à distance (FOAD). « Elle ne devrait pas être un dispositif d’accès à la formation. C’est une modalité, un format pédagogique. Si elle n’est pas une action de formation dans le sens légal du terme, on peut envisager qu’elle le devienne et qu’elle soit finançable. »

Selon l’avocate, se pose aussi la question du droit du travail et de l’intégration de la période de formation dans le temps de travail. « J’opterais pour un genre de charte, plutôt qu’une modification du contrat de travail. Il est nécessaire d’avoir une bulle de protection du salarié, qui le sorte de l’impératif de la production, du lien de subordination. De son côté, l’employeur doit reconnaître cet espace de liberté, cette forme d’acquisition de compétences qui ne correspond pas à la fiche de poste. » Il faut donc mettre tout un cadre en place pour éviter que des entreprises refusent l’expérimentation.

La FEST a été présentée lors d’une matinée dédiée et organisée par l’Afref, l’association française pour la réflexion et l’échange sur la formation.

Philippine Arnal-Roux