La France est-elle un pays difficile à réformer, les syndicats sont-ils la cause des blocages ? Vincent Pasquier, doctorant en sciences de gestion à la Grenoble école de management (GEM) propose une analyse intéressante et une prise de recul sur la vision figée que les Français ont des relations sociales de leur pays.
L’universitaire s’appuie sur des travaux comparatifs du dialogue social dans plusieurs pays du monde pour établir le « paysage français » actuel. La synthèse de ces travaux permet de constater tout d’abord que :
– le dialogue social en France « s’est déjà très largement transformé »,
– l’entreprise y est au centre du dialogue social
– les représentants des salariés y sont beaucoup moins puissants que dans les pays où règne la cogestion.
A tel point que plusieurs spécialistes considèrent la France – avant même la réforme entérinée par les ordonnances de septembre 2017 – comme l’un des pays où le dialogue social est « le plus décentralisé et le plus libéralisé de l’OCDE » !
Un pays bloqué ou une vision figée en termes de dialogue social ?
Photo issue du film « M le maudit » de Fritz Lang.
« La France n’est pas un pays réformable. Beaucoup ont essayé et n’y ont pas réussi, car les Français détestent les réformes » affirmait le Président de la République Emmanuel Macron en Roumanie, en août 2017. La vision que nous avons de notre pays expliquerait le fait que le gouvernement ait voulu agir dans l’urgence pour publier les ordonnances. Pourtant, le pays a subi de nombreuses réformes depuis 1982 avec les lois Auroux, qui ont induit progressivement « des transformations néo-libérales du marché du travail et des institutions de régulation des relations professionnelles » ont constaté le sociologue Lucio Baccaro et le professeur de sciences politiques Chris Howell.
« La toute puissance syndicale en France » et le nombre de jours de grève annuel sont deux autres thèmes récurrents dans la bouche de nombreux politiques et commentateurs. Vincent Pasquier s’applique à démontrer qu’il s’agit de poncifs non justifiés, tout en expliquant que la tendance à se mobiliser dans la rue des syndicats français serait plus « un aveu de faiblesse de leur part qu’un signe de leur force (…) En d’autres termes, ce que le cadre institutionnel ou le rapport de force ne leur permet pas d’obtenir par le dialogue, les syndicats tenteraient de le conquérir dans la rue »…. Le constat est clairement posé également par le journaliste Guillaume Duval qui rappelle, dans un article paru dans Alternatives économiques (le 25/08/17, alternatives-economiques.fr), que « les représentants des salariés ont très peu de pouvoirs » puisqu’au final ils ne sont, la plupart du temps que consultés ou informés… C’est toujours le cas pour le nouveau comité social et économique qui réunit désormais dans les entreprises de plus de 11 salariés, les attributions des anciens comité d’entreprise, délégués du personnel et CHSCT.
Les ordonnances contribuent à nous éloigner encore du modèle de cogestion
Pour l’universitaire, après étude historique et comparative du système des relations sociales et professionnelles français, en déduit que notre pays est plus facilement réformable qu’annoncé et qu’il est loin d’être « noyauté par de puissants syndicats ». Ainsi, quand le gouvernement annonce vouloir construire « une véritable cogestion à la française » avec la loi travail de 2017, appelée plus communément « ordonnances Macron », l’auteur de cette chronique pense qu’il est plus probable au contraire, que notre pays s’éloigne encore plus « des pays où la cogestion est une réalité ».
L’article, qui date de novembre 2017, est toujours consultable, dans son intégralité sur le site The Conversation (theconversation.com), sous le titre : « La réforme du dialogue social et le fantasme de l’exception française ».
Philippine Arnal-Roux
Autres articles dans la même catégorie :