Sommes-nous à un tournant dans la négociation sociale ?

Chaire dialogue social et compétitivité des entreprises débat sur les tournants dans la négociation sociale

Jean-François Pillard et Marcel Grignard lors d’une table ronde organisée par la Chaire Dialogue social et compétitivité des entreprises à l’ESCP.

Dans le cadre de la Chaire créée par l’ESCP « Dialogue social et compétitivité des entreprises », le professeur en « Public and international affairs » Dan Druckman, de l’université Georges Mason de l’Etat de Virginie aux États-Unis est intervenu sur le sujet des retournements de situation dans la négociation sociale. Sa théorisation* permet de mieux comprendre les situations de crise et de mieux anticiper comment avancer vers un accord. A suivi une table ronde animée par Maria Koutsovoulou, directrice scientifique de la Chaire et réunissant Marcel Grignard, ex-CFDT, président du think tank Confrontations Europe et Jean-François Pillard, ex-Medef, président de la Chaire.

Face à un contexte de transformation permanente, les acteurs sociaux doivent s’adapter

A la question de l’état des lieux du dialogue social dans notre société, Jean-François Pillard constate que nous sommes passés « d’une gestion de cycles successifs à une transformation permanente. « L’entreprise et la société sont confrontées à des changements rapides et profonds à la fois », commente-t-il. « Qui aurait dit que Trump ou Macron seraient devenus présidents, par exemple ? On s’aperçoit aussi que 50 % ou plus des événements qui nous touchent étaient imprévisibles ! »
Pour l’ex-membre du Medef, « les acteurs sociaux, eux aussi sont confrontés à cette transformation. Le cadre lui-même du dialogue social a changé, rappelle-t-il. Il a changé progressivement, d’un cadre purement législatif jusqu’aux ordonnances de septembre 2017 qui ouvrent la négociation au niveau de l’entreprise. » En résumé, pour Jean-François Pillard, nous sommes à un véritable tournant, au cœur d’un processus fondamental de transformation de nos modèles de dialogue social. La question qui se pose alors est de savoir si les acteurs sociaux sont capables de s’adapter à ces changements.

Vers une société où la nécessité de coopération se renforce

Marcel Grignard est d’accord sur le fait que des changements importants sont en train de s’opérer. Pour lui, le début de la rupture dans le dialogue social français vient du conflit social déclenché par la création du CPE, le contrat première embauche, en 2005. A la suite de cet événement, la loi Larcher a stipulé qu’avant qu’un gouvernement ne légifère, il devait passer par la consultation et le dialogue avec les partenaires sociaux. Ont suivi la réforme de la représentativité en 2008 ; la montée en puissance de la décentralisation de la négociation collective et aujourd’hui les ordonnances Macron. L’ex-secrétaire confédéral de la CFDT conclut que nous allons « vers une société où la nécessité de coopération se renforce ».

Jean-François Pillard et Marcel Grignard lors d'une table ronde organisée par l'ESC Paris pour la Chaire Dialogue social et compétitivité des entreprises.

Jean-François Pillard et Marcel Grignard lors d’une table ronde organisée par l’ESC Paris pour la Chaire Dialogue social et compétitivité des entreprises.

« Le problème, ajoute-t-il, est que les enjeux climatiques remettent en cause les modèles de nos sociétés capitalistiques. Nous avons été bercés par l’idée binaire que le progrès nous menait forcément vers une société meilleure que par le passé. Ce qui n’est pas le cas. Cet enjeu-là arrive au moment où les négociations au niveau régional ou national sont difficiles, que partout dans le monde occidental la démocratie est remise en cause, avec un modèle totalitaire qui revient en force. »

Le manque de confiance handicape le dialogue social et la négociation en France

« La France a un retard de compétitivité, affirme Jean-François Pillard, notamment en termes de management dans les entreprises : trop hiérarchique, trop archaïque ! On vit dans un mode extrêmement élitiste, où le diplôme a une importance excessive. En France, on a aussi encore beaucoup de mal à admettre que la diversité est un facteur d’efficacité opérationnelle et qu’elle est source de richesse », rappelle-t-il. Mais le point le plus problématique semble-t-il, est sans doute le manque de confiance général dont pâtissent les rapports sociaux. « On assiste parfois même à une défiance envers les partenaires sociaux. »
Pour le président de la Chaire « Dialogue social et compétitivité des entreprises », la rénovation du dialogue social, et en particulier au niveau de l’entreprise, passe donc par le rétablissement de la confiance. Il faut sortir d’une lecture trop technique, trop institutionnelle et juridique des rapports sociaux. « Il est nécessaire de considérer que la confrontation est le seul moyen de faire progresser les points de vue ».

Un avis plutôt partagé par Marcel Grignard qui considère que de la confrontation des points de vue on peut parvenir à un diagnostic partagé ; point de départ de la recherche de solutions. A ce jour pourtant, si la confrontation existe bel et bien dans le dialogue social français, le diagnostic est loin d’être partagé et le chemin de la coopération long à parcourir…

Philippine Arnal-Roux

 

*Retrouvez les publications de Dan Druckman sur www.cairn.info