« Articuler chômage partiel et télétravail est possible, mais il existe des risques » A. Le Nouvel

La crise sanitaire a fait exploser les demandes de chômage partiel. Il concerne désormais près de 10 millions de salariés ! Si ce dispositif n’est pas nouveau, son extension massive s’est accompagnée d’un véritable bouleversement des règles, et fait naître de nouvelles questions.

Pour permettre aux entreprises fragilisées de recourir plus facilement au chômage partiel (ou activité partielle selon la terminologie règlementaire), les pouvoirs publics ont adapté son cadre juridique sur un certain nombre de points.

 

Une indemnisation proportionnelle et adaptée

Commençons par la rémunération du salarié. Depuis le décret du 25 mars 2020, le chômage partiel n’est plus indemnisé sur une base forfaitaire, mais proportionnellement au salaire du salarié : 70 % du salaire brut (84 % du net), avec un plafond à 4,5 smic et un plancher à 8,03 euros de l’heure.

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Anne Le Nouvel est professeur au Cnam.

Ce cadre général a en outre été assoupli pour tenir compte des (nombreux) cas particuliers : apprentis, VRP, salariés au forfait jours, pigistes, salariés portés, chauffeurs routiers… De fait, « tous les salariés, quel que soit leur contrat de travail, doivent pouvoir bénéficier du chômage partiel, souligne Anne Le Nouvel, professeur associée au Cnam et responsable éditoriale chez Rocket Lawyer. En outre, la durée maximale d’indemnisation a été allongée de 6 à 12 mois ».

Chômage partiel. Des procédures rétroactives

Auparavant l’employeur qui voulait recourir au chômage partiel devait préalablement consulter ses IRP et joindre l’avis des élus à sa demande d’autorisation envoyée à la Direccte. À cause de l’urgence sanitaire, mais aussi à cause de l’engorgement administratif lié à l’afflux des demandes, le gouvernement a autorisé les entreprises à mettre en place l’activité partielle avant de lancer ces procédures.

Des délais devront toutefois être respectés.

  • Les employeurs ont jusqu’au 30 avril pour solliciter l’autorisation administrative. L’absence de réponse dans un délai de deux jours vaut accord implicite.
  • Ils devront communiquer à la Direccte l’avis du CSE dans un délai de 2 mois après la date de dépôt de leur demande, soit le 30 juin au plus tard.

À noter que seuls les CSE des entreprises de plus de 50 salariés doivent être consultés.

 

Le chômage partiel, une mesure individualisable sous conditions

Autre nouveauté, l’individualisation possibles des situations. En principe, explique Anne Le Nouvel, « le chômage partiel est une mesure collective, qui doit s’appliquer à un ensemble de salariés ». Il peut concerner les salariés de l’entreprise, d’un établissement, d’un service, d’un atelier… Or, depuis l’ordonnance du 22 avril 2020, les entreprises peuvent déroger à cette règle. Le texte les autorise en effet à « placer une partie seulement des salariés de l’entreprise, d’un établissement, d’un service ou d’un atelier, y compris ceux relevant de la même catégorie professionnelle, en position d’activité partielle ou appliquer à ces salariés une répartition différente des heures travaillées et non travaillées, lorsque cette individualisation est nécessaire pour assurer le maintien ou la reprise d’activité. » Selon l’activité des salariés, une entreprise pourra ainsi faire une demande de chômage partiel à 100 % du temps pour l’un, 50 % pour l’autre, 30 % pour le troisième.

Mais attention, cet assouplissement n’est possible que si accord d’entreprise ou de branche l’autorise. À défaut, l’employeur devra recueillir l’avis conforme du CSE, qui détient donc, sur ce point, un droit de veto.

 

 

Télétravail et activité partielle : attention aux risques

L’activité partielle peut prendre deux formes :

  • Soit il s’agit de chômage partiel total, et l’activité du salarié est entièrement suspendue.
  • Soit il s’agit d’une réduction d’activité et le salarié alterne période de travail et période de chômage. Par exemple 2 jours de travail et 3 jours de chômage partiel dans la semaine, ou le matin en activité et l’après-midi en inactivité… Cette modalité a été étendue aux salariés en forfait-jours.

Où s’informer sur les conditions de mise en chômage partiel ?

Le ministère du travail met régulièrement à jour un questions-réponses sur l’activité partielle, consultable sur son site internet : http://www.travail-emploi.gouv.fr

Vous y trouverez toutes les informations règlementaires sur les procédures à suivre, les règles applicables aux catégories particulières, le calcul de l’indemnisation, etc.

 

Dans les deux cas, le salarié ne doit fournir aucun travail ni être à la disposition de l’employeur durant les périodes indemnisées au titre du chômage partiel. Ce principe, simple sur le papier, peut s’avérer complexe à appliquer, surtout dans le cas où le chômage partiel est une réduction d’activité, et que les périodes travaillées s’effectuent en télétravail.

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Les conditions de mise en chômage partiel ont été assouplies avec la crise du Coronavirus. Photo : Unsplash

« L’articulation est possible, mais il existe des risques, prévient Anne Le Nouvel. Il faut impérativement distinguer les périodes de télétravail et celles de chômage partiel. » Le ministère du Travail recommande d’ailleurs d’organiser cette alternance en journée ou en demi-journée, précisant que l’identification des périodes travaillées et non travaillées pourra être demandée « dans le cadre de l’instruction des demandes et en cas de contrôle ».

Néanmoins, alerte Anne Le Nouvel, « l’employeur peut être de bonne foi mais être pris de court par le comportement des salariés eux-mêmes. Comment empêcher un cadre de répondre à un mail le jour où son activité est censée être suspendue ? L’employeur doit donc mettre en place tous les garde-fous possibles pour éviter le risque pénal. Il a intérêt par exemple, à brider les serveurs si c’est possible, ou au moins à envoyer un courrier à tous les salariés leur rappelant l’interdiction de travailler, même pour des raisons de professionnalisme. En cas de contrôle, il sera important qu’il démontre sa bonne foi. »

De fait, l’employeur qui laisse ou qui fait travailler un salarié censé être au chômage partiel risque gros. « En cas de fraude, il s’expose à une condamnation pour travail dissimulé. Les sanctions sont de trois types : l’employeur devra d’abord rembourser les aides perçues. Il risque ensuite une interdiction de bénéficier d’aides publiques pendant cinq ans. Enfin, il risque jusqu’à deux ans de prison et 30 000 euros d’amende par infraction constatée », égrène la juriste.

 

Chômage partiel et arrêt de travail dérogatoire

Les mesures de confinement ont conduit les pouvoirs publics à donner la possibilité aux parents d’enfants de moins de 16 ans et à certains salariés à risque de bénéficier d’un arrêt de travail « dérogatoire ». Ils sont alors pris en charge par la Sécurité sociale. Toutefois, ce régime devrait prendre fin le 1er mai prochain.

Un amendement du gouvernement, adopté dans le cadre du projet de loi de finances rectificative pour 2020 prévoit en effet que les salariés en arrêt dérogatoire basculent à cette date au chômage partiel « pour toute la durée de la mesure d’isolement, d’éviction ou de maintien à domicile concernant le salarié et son enfant ». Cette mesure permettra notamment d’améliorer leur indemnisation. Les modalités pratiques restent à préciser.

 

Élodie Sarfati
À savoir égal
Agence de digital learning en social-RH