Un salarié qui lance une alerte et est licencié pour cela peut obtenir l’annulation de son licenciement, mais n’accède pas forcément au statut de lanceur d’alerte. En voici l’illustration.
Dans cette affaire, M. W., un consultant de la société Eurodécision, une entreprise spécialisée dans le développement de solutions logicielles, s’est vu confier une mission au sein d’un technocentre Renault. Nous sommes en mars 2016 lorsque, très remonté contre le projet de loi El Khomri, le consultant propose alors aux syndicats du constructeur automobile, entre autres actions, de diffuser le documentaire « Merci Patron ! » afin d’engager un dialogue avec les salariés de l’entreprise (source : Dalloz actualité).

Un salarié qui lance une alerte ne bénéficie pas forcément du statut de lanceur d’alerte… Photo : Unsplash
Averti de la situation par la hiérarchie de Renault, son employeur le convoque lors d’un entretien le 16 mars 2016. Il lui explique alors que Renault surveille étroitement les messageries électroniques de ses salariés syndicalistes et qu’en tant qu’intervenant extérieur, il n’a pas à discuter avec les syndicats. Durant tout le temps de l’entretien, le salarié enregistre discrètement la conversation, qu’il décide ensuite de diffuser sur YouTube. Licencié pour faute grave le 21 avril 2016, le consultant va porter cette affaire auprès des tribunaux en faisant valoir sa position de lanceur d’alerte pour voir son licenciement annulé. La cour de cassation vient cependant de lui refuser le statut de lanceur d’alerte.
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Est-on lanceur d’alerte si l’employeur n’est pas déclaré coupable ?
L’affaire a d’abord été portée devant la cour d’appel de Versailles le 27 février 2018, qui a prononcé l’annulation du licenciement (nullité du licenciement en termes juridiques) pour atteinte à la liberté d’expression. D’après la Cour, le salarié avait en effet « personnellement et préalablement constaté que son employeur remettait en cause son droit à sa libre communication avec les syndicats de la société Renault, au vu des propos enregistrés tenus par son employeur » (Cabinet Rostaing*). Dans un second temps le salarié avait alors procédé à la révélation de ces faits d’atteinte à la liberté d’expression.
La cour d’appel en avait donc déduit que le salarié était recevable à invoquer le statut de lanceur d’alerte et conclu à l’annulation du licenciement. L’entreprise Eurodécision avait ainsi été condamnée au paiement de diverses sommes au bénéfice du salarié pour réparation de préjudice. Mais l’employeur s’était alors pourvu en cassation, arguant qu’aucune faute pénale ne pouvait lui être reprochée et que, dès lors, le salarié ne pouvait être qualifié de lanceur d’alerte.
Les faits ne sont ni délictueux ni criminels
Cette position a été validée par la cour de cassation, qui estime que l’employeur ne s’est rendu coupable d’aucun délit ou crime. Or, il s’agit de l’une des conditions pour être qualifié de lanceur d’alerte. Dans son arrêt du 4 novembre 2020 (n°18-15669), la Haute juridiction rappelle ainsi que, selon l’article L1132-3-3 du code du travail, « aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont il aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions ».
Elle casse donc l’arrêt de la cour d’appel.
Si le salarié n’est donc pas qualifié de lanceur d’alerte, son employeur n’a pas pour autant le droit de le licencier pour faute.
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Dénoncer des faits ne constitue pas une faute
Attention, si le statut de lanceur d’alerte est conditionné par la dénonciation de faits délictueux ou criminels, la cour de cassation a déjà décidé que le fait pour un salarié de divulguer des faits concernant l’entreprise qui lui paraissent anormaux, qu’ils soient ou non susceptibles de qualification pénale, ne constitue pas en soi une faute (arrêt du 30 juin 2016*).
Seule la dénonciation de mauvaise foi, autrement dit lorsque le salarié avait connaissance de la fausseté des faits qu’il dénonce, peut être sanctionnée.
De quelle protection bénéficie un lanceur d’alerte ? |
Selon le guide publié par le Défenseur des droits *, le lanceur d’alerte a droit : • à la nullité des représailles dans le cadre professionnel ou personnel ; |
Lou-Eve Popper
* Cabine Rostaing :
Le salarié n’est un lanceur d’alerte que s’il révèle des faits constitutifs d’un délit ou d’un crime
*Dalloz :
https://www.dalloz-actualite.fr/flash/lanceur-d-alerte-pas-de-protection-du-salarie-en-l-absence-de-faute-penale-de-l-employeur
* Arrêt du 4 novembre 2020 de la cour de cassation :
https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/arrets_publies_2986/chambre_sociale_3168/2020_9595/novembre_9936/969_04_45901.html
*Arrêt du 30 juin 2016 :
https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/chambre_sociale_576/1309_30_34750.html
*Défenseur des droits :
https://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/guide-lanceuralerte-num-v3.pdf
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