La cour de cassation admet, dans un arrêt du 4 novembre 2020, que la faute de l’employeur à l’origine d’une menace pour la compétitivité de la société peut priver le licenciement économique consécutif à cette menace, de cause réelle et sérieuse.
C’est une première. Sur le principe, la cour de cassation a reconnu, dans un arrêt du 4 novembre 2020, que des licenciements économiques pouvaient être injustifiés si une menace pesant sur la compétitivité de l’entreprise et rendant nécessaire une réorganisation de la société, était la conséquence d’agissements fautifs de l’employeur. Cependant, un garde-fou a été posé : une faute de l’employeur peut, certes, être admise mais elle ne peut pas être caractérisée par de potentielles erreurs de choix de gestion, sur lesquels les juges n’ont pas le droit de se prononcer, a rappelé la cour de cassation.
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Licenciement économique et compétitivité : une question de principe ?
Cela fait longtemps que les juges de la cour de cassation ont admis que si une entreprise connaît des difficultés économiques (cour de cassation, 9 octobre 1991) ou une cessation d’activité (cour de cassation, 10 octobre 2006 et 23 mars 2017) en raison d’une faute de l’employeur, alors la procédure de licenciement économique consécutive peut être privée de « cause réelle et sérieuse »*. En conséquence, l’employeur peut être condamné à réintégrer le salarié ou à l’indemniser**.
Cela vaut-il lorsque le licenciement est fondé sur le motif de la réorganisation nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise ? La cour de cassation vient de se prononcer et affirme que, là aussi, « la faute de l’employeur à l’origine de la menace pesant sur la compétitivité de l’entreprise rendant nécessaire sa réorganisation est de nature à priver de cause réelle et sérieuse les licenciements consécutifs à cette réorganisation ».
Voilà pour le principe. Mais dans la pratique, l’employeur est tout de même protégé. Car selon la cour de cassation, « l’erreur éventuellement commise dans l’appréciation du risque inhérent à tout choix de gestion ne caractérise pas à elle seule une telle faute ». En d’autres termes, les juges n’ont pas à s’immiscer dans les choix de gestion de l’employeur.
L’employeur a-t-il commis des décisions préjudiciables ?
Quelle est l’affaire qui a poussé la cour de cassation à légiférer dans ce sens ? Tout commence en 2014, lorsque plusieurs salariés de la société Pages jaunes sont licenciés après avoir refusé une modification de leur contrat de travail rendue nécessaire à la suite d’une réorganisation de la société destinée à sauvegarder sa compétitivité. À l’époque, les salariés en question saisissent la justice : pour eux, leurs licenciements sont imputables à une faute de l’employeur et sont donc injustifiés. Ils en ont pour preuves des « remontées de dividendes de la société Pages jaunes vers la holding, destinées à assurer le remboursement d’un emprunt du groupe résultant d’une opération d’achat avec effet de levier (LBO). C’est ce remboursement, qui avait selon eux, asséché la source de financement des investissements stratégiques à l’entreprise ».
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Un raisonnement qu’a suivi la cour d’appel de Caen. Celle-ci a en effet affirmé : « Le péril encouru en 2014 par la compétitivité de l’entreprise au moment de la mise en œuvre de la procédure de licenciement n’est pas dissociable de la faute de la société Pages jaunes, caractérisée par des décisions de mise à disposition de liquidités empêchant ou limitant les investissements nécessaires ». Pour la cour d’appel, il s’agit, en d’autres termes, de « décisions pouvant être qualifiées de préjudiciables comme prises dans le seul intérêt de l’actionnaire, et ne se confondant pas avec une simple erreur de gestion ».
Les juges n’ont pas à s’immiscer dans les choix de gestion de l’employeur
Ce n’a pas été l’avis de la cour de cassation. Certes, admet la chambre sociale, le juge peut, en principe, « vérifier que la menace sur la compétitivité n’est pas due à une faute de l’employeur », mais le tout est de savoir ce qui peut, ou non, caractériser celle-ci. Or, comme précisé plus haut, « l’erreur éventuellement commise dans l’appréciation du risque inhérent à tout choix de gestion ne caractérise pas, à elle-seule une telle faute », rappelle la cour de cassation.
Selon la Haute juridiction dans une note jointe à l’arrêt, la cour d’appel est donc en faute en ce qu’elle « caractérise la faute de l’employeur » par des « décisions de mise à disposition de liquidités empêchant ou limitant les investissements nécessaires », soit des choix de gestion. En d’autres termes, « selon la cour de cassation, la faute de l’employeur n’était pas établie car ces motifs étaient insuffisants à caractériser la faute de l’employeur à l’origine de la menace pesant sur la compétitivité de l’entreprise ».
La Haute juridiction a donc censuré la décision de la cour d’appel.
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Licenciement économique. Le juge prud’homal ne doit pas contrôler les choix de gestion |
Si les juges ne peuvent pas juger des choix de gestion de l’employeur en amont ayant potentiellement provoqué la perte de compétitivité de l’entreprise, ils ne peuvent pas non se prononcer sur les choix effectués pour sauvegarder cette même compétitivité. Exemple : la décision avait été rendue le 8 décembre 2000 par la cour de cassation en assemblée plénière. À l’époque, une entreprise avait procédé à des suppressions d’emplois pour sauvegarder sa compétitivité. La cour d’appel de Riom avait considéré que les licenciements prononcés étaient néanmoins sans cause réelle et sérieuse au motif que l’employeur aurait pu prendre une autre mesure, moins dévastatrice pour l’emploi. Cette décision avait néanmoins été censurée par la cour de cassation au motif qu’il n’appartenait pas à la cour d’appel de contrôler le choix effectué par l’employeur entre différentes solutions possibles. Source : CMS Francis Lefebvre Avocats. |
Lou-Eve Popper
*Sources : Liaisons sociales quotidien, 25 novembre 2020
**Service-public.fr
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